10. L’échange

Lorsque survient une attaque et que l’on choisit de défendre la cible, la question est de savoir à quelles conditions cette défense est efficace, a fortiori quand une cible fait l’objet de plusieurs attaques et défenses. De même, quand une cible est défendue, on peut se demander à quelle condition une nouvelle attaque est efficiente et l’échange de pièces est conditionné par ces considérations.

La question soulevée ci-dessus souffre de nombreuses exceptions découlant des possibilités tactiques sur l’ensemble de l’échiquier. Mais dans son aspect fondamental, elle se base en grande partie sur la valeur des pièces. Le tableau suivant rappelle la valeur relative des diverses pièces en prenant le pion pour unité – toutes choses étant par ailleurs égales :

Valeur relative des pièces et tempo ( un demi-coup) :

Tempo : 1/3 Cavalier : 3 Tour : 5
Pion : 1 Fou : 3 Dame : 9

Ainsi, quand une cible est attaquée et défendue (cible complexe) peut survenir à tout moment un échange de pièces. Cela se passe de la façon suivante : l’attaquant de plus faible valeur prend la cible, le défenseur de plus faible valeur reprend et ainsi de suite jusqu’à ce que l’attaquant ou le défenseur décide de stopper ou qu’il n’y ait plus d’attaquant ou de défenseur disponible. Parfois, l’ordre des prises peut être imposé par la disposition des pièces et dans ce cas, ce n’est pas forcément la pièce de plus faible valeur qui (re)prend en premier.

Analysons tout ceci plus en détail.

Pour une cible simple – c’est à dire non défendue – toute attaque est a priori effective, quelles que soient les valeurs respectives de l’attaquant et de sa cible.

Par contre, une défense ne sera efficace que si la valeur de la cible ne dépasse pas celle de l’attaquant.

Exemple 10.1 : défenses effectives ou vaines

Dans l’exemple ci-contre, l’attaque de la Dame blanche sur la Tour noire est parée : en aucun cas elle ne prendra le risque de s’échanger contre la Tour ! La Tour noire devient une cible complexe de type 1.

Par contre, l’attaque de la Dame noire par la Tour blanche est effective et ce quel que soit le nombre de défenseurs de la Dame noire – trois ici – puisque aucun d’eux n’empêchera l’échange de la Tour (valeur 5) contre la Dame (valeur 9). Pour la Tour blanche, la Dame noire est juste une occasion à saisir.

Ne perdons pas de vue que la défense est un troc pour lequel il convient de tenir compte des valeurs respectives des choses troquées ! 

Continuons à explorer les situations d’attaque-défense. Supposons maintenant que la cible soit de type 1 ; cela implique que la valeur de l’attaquant est au moins égale à celle de la cible. Qu’en est-il alors d’une nouvelle attaque ?

Exemple 10.2 : l’échange de pièces (I)

Dans le Diagramme ci-contre, les Blancs attaquent la Tf6 via le Ch5. Comme la valeur du Cavalier est inférieure à celle de la Tour, l’attaque est effective : dès que l’un au moins des attaquants a une valeur inférieure à la cible, cette dernière devient une occasion à saisir par ledit attaquant.

Pour clarifier tout cela, nous allons introduire un marqueur de la situation d’attaque-défense : le bilan d’échange. Pour l’évaluer, il nous faut réfléchir à l’ordre dans lequel s’effectue l’échange de pièces, en tenant compte des contraintes de la position d’une part et en commençant par les défenseurs de plus faible valeur d’autre part. On compte :

1. C×f6 (+5) T×f6 (+5 –3 = +2)

Le dernier coup des Noirs ne permet pas d’équilibrer. L’échange s’arrête en faveur des Blancs et le défenseur supplémentaire que constitue la Tf8 n’y change rien.
L’avantage d’une Tour contre un Cavalier ou un Fou s’appelle la qualité. On dira donc que l’échange a permis aux Blancs de gagner la qualité.

Exemple 10.3 : l’échange de pièces (II)

Remplaçons maintenant la Tf6 par un Fou et ajoutons une attaque par la Tf1 (diagramme ci-contre). Le bilan se calcule par :

1. C×f6 (+3) g×f6 (+3 –3 = 0
2. T×f6 (0 +1 = +1) T×f6 (+1 –5 = -4)
3. D×f6+ (-4 +5 = +1)

Après les coups blancs 2. T×f6 ou 3. D×f6, le bilan est le même, en leur faveur : ils peuvent donc arrêter l’échange après l’un ou l’autre, au choix.

Exemple 10.4 : l’échange (III)

Imaginons maintenant que la Dame blanche soit en f2 et calculons le bilan d’échange (Diagramme ci-contre) :

1. C×f6 (+3) g×f6 (+3 –3 = 0)
2. D×f6 (0 +1 = +1) T×f6 (+1 –9 = -8)
3. T×f6 (-8 +5 = -3)

Ici, l’ordre a été imposé par la position de la Dame qui obstrue l’action de la Tour. Le bilan est maintenant défavorable aux Blancs. Aussi auraient-ils du s’abstenir de l’échange ou l’arrêter après 1. … g×f6.

De tous cela, on peut aussi tirer une tendance générale : plus une pièce a de la valeur, plus elle a de possibilités d’attaques (plus de mobilité) mais plus il est facile de se défendre de ses attaques (moins de force). De même, plus une pièce a de la valeur, moins elle est efficace en défense. Il est donc clair que le pion est à la fois l’attaquant mais aussi le défenseur le plus redoutable.

Voilà pour la règle générale. Toutefois, le déroulement des échanges décrit ci-dessus est très souvent perturbé par des interactions avec d’autres pièces sur l’échiquier. C’est d’ailleurs bien souvent la raison qui pousse à échanger : en remplaçant telle pièce par une autre, ou en obligeant telle autre pièce à se déplacer, on provoque une position dont on escompte tirer parti. Prenons un exemple simple.

Exemple 10.5 : échanger pour éliminer la défense

Dans la position du diagramme ci-contre, les Noirs peuvent se contenter de récupérer la Tour qui vient d’être prise en jouant 1. … D×g3+. En effet, la Tg1 est alors protégée par le Fg2 et le Roi. Mais justement, en parlant du Fg2, ce dernier est menacé par le Fh3 noir et nous avons déjà vu que supprimer des pièces astreintes à la défense pouvait être une tactique très profitable. Les Noirs jouent donc :

1. … F×g2+ 2. R×g2 D×g3+ qui sera suivi de D×g1 : l’échange a fait disparaître un des défenseurs de la Tg1.

Voici un autre exemple.

Exemple 10.6 : coup intermédiaire dans un échange

Dans la position ci-contre, le Fou blanc est attaqué deux fois et défendu deux fois et l’échange F×h3, T×h3,  T×h3, R×h3 n’apporte pas de bénéfice immédiat. Pourtant, les Noirs peuvent utiliser l’échange en jouant 1. … F×h3  2. T×h3.
À ce stade de l’échange, il est possible de jouer un coup intermédiaire qui ne suit pas le déroulé automatique de l’échange :

2. Td3+               

Ce coup intermédiaire des Noirs amènent un nouvel attaquant, tout en gagnant un temps. Maintenant, la suite de l’échange est en défaveur des Blancs puisque le Roi ne peut plus reprendre à la fin :

3. … Rc2
2. T×h3                  gagne

Voici un dernier exemple riche en rebondissements. C’est une situation plus générale où tous les échanges ne se font pas nécessairement sur la même case et l’on pourrait tout aussi bien parler ici de contre-attaque de compensation (cf chap.6) :

Exemple 10.7 : échanges croisés

Dans une position égale, les Blancs viennent de jouer le coup 1. Ca7-c6 (diagramme ci-contre). Les Noirs sautent sur l’occasion et répondent par : 1. … C×c6 2. D×c6 T×d2. Les blancs semblent avoir fait une mauvaise affaire puisque s’ils récupèrent le Fa6, le Fb2 est perdu. Qu’à cela ne tienne, un petit échange devrait les débarrasser d’un poids : 3. F×f6.

Malheureusement, les Noirs ne sont pas obligés de reprendre du pion et après 3. … D×f6, le Fa6 est maintenant protégé et les Blancs restent avec une pièce de moins.

Une passe d’armes qui nous fait entr’apercevoir que des situations de ce type peuvent être tout aussi variées que complexes.

Le point sur l’analyse fractale

Une cible complexe induit une superposition de schémas élémentaires attaquant-mouvement-cible dont elle constitue le point commun.
Cela génère un statu quo que l’attaquant peut décider de rompre en réalisant tout ou partie des attaques engagées – le défenseur ne pouvant effectuer ses contre-attaques défensives qu’en réponse à des attaque effectivement réalisées sur la cible.

Nous observons à travers les exemples précédents que la modification de la position qui apparait au cours de l’échange permet des coups intermédiaires qui en modifient le déroulement et / ou le bénéfice attendu. Cela résulte d’interactions qu’entretiennent les schémas constitutifs de l’échange avec d’autres schémas sur l’échiquier.
Dès lors, l’analyse pertinente d’une situation d’échange doit déterminer l’existence et les conséquences des interactions en question.

Si le défenseur D2 est impliqué dans un autre schéma d’attaque, sa disparition lors de l’échange pourrait par exemple permettre de réaliser une autre attaque susceptible de perturber l’équilibre initial de la situation d’échange.

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