19. Reprendre le trait

Aux échecs, le trait est un avantage parmi d’autres. Autrement dit, le fait que ce soit son tour de jouer donne à un camp un avantage que l’on estime au tiers de la valeur d’un pion, toutes autres choses étant par ailleurs égales.
Ainsi, en début de partie, le trait aux Blancs constitue un avantage certes minime, mais réel.
Un Grand Maître allemand d’origine russe disait « Je gagne avec les Blancs car j’ai l’avantage de commencer et je gagne avec les Noirs car je m’appelle Bogolioubov ».
Mais quand on est un joueur lambda, il n’est pas si facile de tirer avantage du trait en début de partie…

Dans certaines situations l’avantage du trait est toutefois crucial pour l’issue de la partie. Il est par exemple assez fréquent en finale qu’une même position soit gagnée par le camp qui a le trait et encore plus fréquent que le trait permette à l’un des camps de gagner tandis qu’il assure la partie nulle à l’autre.

Se disputer le trait

Lors d’une attaque, nous avons vu que l’une des possibilités de parade était le gain de temps. L’idée est de différer la prise de la cible en obligeant l’adversaire à jouer un coup plus important – parer un échec par exemple. Il s’agit donc d’une contre-attaque.
Mais si celle-ci s’essouffle et que l’attaquant peut récupérer le trait, il peut alors mener à terme son action initiale. En voici deux exemples.

Exemple 19.1 : une attaque sur deux fronts récupère le trait

Les Noirs exposés à une attaque double ont cru pouvoir sauver Fou et Dame et récupérer la Tour blanche au passage en jouant 1. … F×f3+, gagnant un temps, avant de mettre la Dame à l’abri.
Malheureusement, après 2. Rf2, les Blancs attaquent maintenant la Dame noire et le Ff3 et si les Noirs parent une des deux attaques, les Blancs auront le trait pour réaliser la seconde…

Exemple 19.2 : un échange forcé récupère le trait

Dans l’exemple qui suit, en jouant 1. Dd4, les Blancs pensaient gagner du temps pour différer la prise de leur Tour.

Toutefois, après l’échange des Dames, le trait revient aux Noirs qui finissent par prendre la Td7.

Trait et initiative

Avoir le trait est notamment un avantage lorsque les coups que l’on joue obligent l’adversaire à parer les menaces.
Le joueur qui use ainsi du trait est entreprenant : il dicte le cours du jeu alors que son adversaire s’efforce, en réaction, de contrôler la pression à laquelle il est soumis.
Dans ce cas de figure, on dit du joueur au trait qu’il a l’initiative.

Cette notion d’initiative est fondamentale dans le concept de combinaison tactique, laquelle pourrait se définir comme une suite de coups dictée par le joueur qui a l’initiative et ce, jusqu’à ce qu’il troque cette initiative – un avantage temporel – contre la permanence d’un avantage matériel ou du mat.

Il n’est donc pas surprenant que le camp de la défense cherche à récupérer cette initiative : y réussit-il et, souvent, la combinaison fait long-feu.
À moins que ce changement soit temporaire et que le camp de l’attaquant ne réussisse à reprendre la main…

Dans l’exemple qui suit, nous allons tout d’abord examiner l’importance de l’initiative.

Exemple 19.3 : la force de l’initiative

Dans la position ci-contre, si comme c’est indiqué, ce sont les Blancs qui ont le trait, alors ils gagnent facilement par une attaque à la découverte sur la Dame noire qui les laissent avec une pièce de plus : 1. F×e7 etc.

À l’inverse, si ce sont les Noirs qui ont le trait, la menace est alors aisément parée par 1. … Dd7, par exemple.

De la théorie à la pratique

Voyons maintenant comment exploiter cette situation dans une partie.

Dans la position ci-contre, les Noirs sont au trait et décident de croquer le pion a4 qu’ils jugent insuffisamment défendu.
Or après 1. … D×a4 2. Dc1, on retrouve la position précédente avec le trait aux Noirs, qui peuvent alors envisager la suite de la partie avec sérénité.

Il arrive qu’au cours de la combinaison, le joueur qui a l’initiative joue un coup tranquille dont on peut penser qu’il laisse échapper l’avantage du trait en laissant l’adversaire respirer. Mais, sauf erreur, il s’agit d’une menace cachée qui ne laisse aucun bon choix de jeu à l’adversaire…

Exemple 19.4 : un coup tranquille

Dans la position ci-contre, les Blancs mènent une attaque de mat, mais après 1. Tg8+ Rh6, le coup tranquille 2. Dd8 semble abandonner l’initiative aux Noirs…

Or il n’en est rien. En effet, les Blancs attaquent ainsi la case mat h4, obligeant les Noirs à trouver une parade qui se révèlera de toute façon insuffisante, soit en s’interposant sur le trajet de la Dame blanche par 2. … Te7, soit en s’interposant sur le trajet de la Tg8 afin de libérer des cases de fuite au Roi noir par 2. … Tg7.

Une manœuvre pour prendre le trait

Dans la variante de la partie que nous allons examiner, les Blancs vont toutefois amener leur Dame en c1 en gagnant un temps, ce qui, comme on l’a vu, change complétement la donne. Il suit :

1. … Dxa4 2. Dg5. C’est le début de la contre-attaque qui protégeait secrètement le pion a4   

2. … Cf5 est une tentative de parer le mat en e7 tout en sauvant le Cavalier et en protégeant le pion g7, mais…

3. g4 et le Cavalier n’a plus de case de fuite !

3. … h6 une dernière tentative de contre-attaque sur la Dame blanche, mais…

4. Dc1 le fameux coup attendu, joué cette fois en parallèle avec l’attaque du Cavalier noir sur un second front.

Les Noirs n’ont alors plus que le choix cruel entre le sacrifice desperado du Cavalier par C×d4 ou retourner en e7 et revenir à la position mentionnée plus haut avec trait aux Blancs et les conséquences que l’on sait.

La bataille pour l’initiative

Dans l’exemple suivant, les Blancs vont avoir à composer avec une contre-attaque destinée à gagner du temps pour échapper au mat.

Exemple 19.5 : prendre ou garder l’initiative

Dans la position ci-dessus, les Noirs semblent dans l’impossibilité d’éviter le mat par Dh7 sans pertes importantes. Ils envisagent pourtant une contre-attaque sur le Roi qui va momentanément suspendre la menace des Blancs. Il suit :

1 … Fe3 + posant un cas de conscience aux Blancs : comment parer l’échec tout en maintenant l’attaque initiale ?

Les parades à l’échec

Éliminons tout d’abord la prise du Fou noir qui permet à la Tour et la Dame noires d’échanger en g6 avec échec pour récupérer ensuite la Tour blanche par d×e3 (encore l’avantage du trait !).
Le grand pédagogue échiquéen Aaron Nimzowitsch utilisait d’ailleurs une expression éloquente pour désigner un coup associé à un échec au Roi, afin de gagner un temps :
ainsi il aurait parlé de « prendre en g6 avec écho sonore », le joueur annonçant généralement l’échec à haute voix.

Rejetons ensuite l’interposition catastrophique de la Dame blanche en f2 sans autre commentaire…

La seule parade raisonnable demeure la fuite du Roi, avec deux cases possibles : f1 et h2.

Une variété de contre-attaques

Après 2. Rf1 Dh1+ 3. Re2 Dh5+ se présente l’alternative suivante :

  • 4. Rd4 Dd1+ 5. Rc4  une contre-attaque de mat qui conduit à la perte du Roi blanc en trois coups (à la sagacité du lecteur…)
  • 4. Rd4 Dd1+ 5. Re4 une contre-attaque de désorganisation qui permet aux Noirs de garder le matériel et de reprendre l’initiative durablement tout en évitant le mat
  • 4. Rd1 ou 4.Re1 ou 4. Rf1 suivi de 4. … Dh1+ avec échec perpétuel en h5 et h1 : les Noirs atteignent leur but grâce à une contre-attaque de nulle.
Un dernier piège à éviter

Les Blancs jouent donc 2. Rh2. Les Noirs sont maintenant dans l’obligation de s’occuper de la menace de mat et se résignent à 2. … T×g6, tendant au Blancs une ultime chausse-trappe. 
En effet, si ces derniers reprennent de la Tour, la contre-attaque reprend de plus belle avec Ff4+ suivi de l’irruption de la Dame menant au mieux à la partie nulle et au pire à un retournement de situation en faveur des Noirs.

Heureusement, la reprise par 3. D×g6 met un point final aux espoirs des Noirs en laissant les Blancs avec un avantage décisif.

Différentes catégories de contre-attaques pour gagner du temps

Notons à la lumière de cet exemple que la parade par gain de temps est par essence même celle qui réussit à mettre en œuvre une nulle par répétition de coup, avec comme cas particulier la nulle par échec perpétuel. C’est ce que nous avons désigné dans un précédent chapitre comme une contre-attaque de nulle.

Dans la plupart des autres cas où le défenseur essaie de gagner du temps, tout commence de la même manière par une contre-attaque, mais cette dernière aboutit le plus souvent à une modification de la position de sorte que l’attaque initiale ne puisse plus suivre son cours. C’est la contre-attaque de désorganisation.

Ou alors, elle se borne à compenser la perte matérielle, sans véritablement empêcher l’attaque initiale de suivre son cours. On parle alors de contre-attaque de compensation.

Quant aux contre-attaques de mat, comme leur nom l’indique, elles ne se limitent pas à empêcher l’adversaire de poursuivre ses desseins…

Dans l’exemple suivant, les Blancs doivent à tout prix éviter la partie nulle par échec perpétuel.

Exemple 19.6 : prévenir une contre-attaque de nulle

Dans la position du diagramme, le clouage 1. Tc8 est facile à trouver. Mais après 1. … Da5, comment les Blancs continuent-ils ? La réponse 1. … Da5 au clouage de la Td8 est forcée car sur 1. … Dd2, le coup blanc 2. Da8 condamne la Tour noire en contrôlant la diagonale h1-a8 pour éviter l’écueil de l’échec perpétuel 2. … Dd5+, suivi de Dd1+ etc. 

Après 1. … Da5, la difficulté de la position est que la continuation naturelle consistant à charger la pièce clouée échoue car 2. Dd7 serait simplement suivi de 2. … Tf8 et si 3. T×f8 R×f8, la Dame blanche ne peut mater en d8. Quant à 2. Dc7 ou 2. Db8, c’est là encore la porte ouverte à l’échec perpétuel 2. … Dd5+ etc.

Les Blancs continuent donc par une brillante  attaque sur deux fronts : 2. Db5 ! Et bien que les deux pièces blanches soient en prise, aucune des deux ne peut être éliminée sans conséquence car si 2. … D×b5, 3. T×d8 suivi du mat et si 2. … T×c8 3. D×a5 gagne du matériel.

Le point sur l’analyse fractale

Une parade par gain de temps est une forme de contre-attaque.
Cette contre-attaque est une combinaison tactique constituée d’un réseau de schémas élémentaires attaquant-mouvement-cible.

Pour neutraliser une telle parade, il suffit d’agir sur l’une des trois articulations de n’importe lequel des schémas élémentaires constituant la contre-attaque : si l’une des articulations est brisée, la contre-attaque peut échouer et la parade devient inefficace.

En agissant sur l’un des schémas constitutifs de la combinaison de contre-attaque (en jaune), on peut neutraliser la parade par gain de temps qui s’appuie sur elle.

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